Option Samson, chantage nucléaire
L’Option Samson. La vraie menace nucléaire est israélienne, pas iranienne
Commentaire du traducteur
Alors que Israël s’érige en gardien de la non-prolifération nucléaire et prétend avoir le droit et le pouvoir -en assassinant des milliers de civils- d’empêcher l’Iran (qui s’est toujours défendu de vouloir devenir nucléaire) d’accéder à cette technologie meurtrière, le dissident reprend opportunément, dans un article publié aujourd’hui sur son substack, un livre écrit par Seymour Hersh en 1991.
Seymour Hersh n’a sûrement pas besoin d’introduction, mais je n’y résiste pas. Ce journaliste de 82 ans est l’un des grands fleurons du journalisme anglo-saxon, du vrai journalisme. C’est lui, en particulier, qui a révélé au public le massacre de My Lai pendant la guerre du Viet Nâm, puis plus tard les circuits de rendition et les actes de torture à Abu Graib, dans le cadre de la ‘guerre contre la terreur’ et récemment les dessous du sabotage du pipeline North Stream.
Son livre de 1991, intitulé « L’Option Samson : l’arsenal nucléaire d’Israël et la politique étrangère états-unienne » est une longue étude sur l’histoire de l’accès d’Israël à la technologie nucléaire militaire. Il nous révèle en particulier le rôle central joué par la France de René Coty, puis de De Gaulle dans l’acquisition de cette technologie et les tentatives bien timorées des Etats-Unis de Kennedy et Johnston pour empêcher Israël de se doter de l’arme suprême. Des velléités bien vite abandonnées par l’administration Nixon. Il nous parle aussi de la toute puissance des services israéliens pour museler l’information, au point que, aujourd’hui encore, certains se croient habilités à nier officiellement le fait avéré qu’Israël est une puissance nucléaire illégale et clandestine. Et tant pis pour les victimes collatérales de cet archétype de la désinformation israélienne, comme le lanceur d’alerte Mordechai Vanunu, trompé puis enlevé en plein centre de Rome, embastillé pendant 20 ans et toujours prisonnier en Israël.
Mais ce qui retient aujourd’hui le plus l’attention, c’est la fameuse ‘Option Samson’, du nom de cette autre géant de la mythologie sanglante juive qui, plutôt que de se soumettre aux ‘Philistins’, les écrasent -et se tue lui-même- en faisant s’écrouler le temple de Dagon… à Gaza.
C’est en effet cette ‘option’, qui prévoit que Israël, menacé dans son existence, utilisera ses armes nucléaires pour déclencher un Armageddon mondial, qui doit faire l’objet de toute notre attention si l’on veut comprendre, entre autre, la réalité du conflit militaire entre Israël et l’Iran, entre Israël et le monde arabe en général.
Le principe de cette ‘option’, que l’on croirait réservée à un film de Fritz Lang et au domaine de la fiction en général, prévoit de lancer des attaques nucléaires sur un certain nombre de pays arabes, européens et de l’ex-URSS, y compris la fédération de Russie, en espérant déclencher des frappes nucléaires tous azimuts en représailles.
Selon le journaliste Kit Klarenberg, la doctrine est toujours en place aujourd’hui : « Martin van Creveld, théoricien militaire, israélien d’origine hollandaise, se vantait en septembre 2023 qu’Israël « possédait plusieurs centaines d’ogives nucléaires et les fusées qui peuvent les lancer vers des cibles multidirectionelles, peut-être même jusqu’à Rome. La plupart des capitales européennes sont des cibles potentielles. Nous sommes en capacité d’effacer le monde entier avec nous. Et je peux vous assurer que c’est ce qui se passera avant qu’Israël ne soit détruit »
Beaucoup d’entre vous ont certainement déjà connaissance de cette fameuse option Samson, qui n’est plus qu’un secret mal gardé. Et on se dit que non, bien sûr, ce n’est pas du domaine du possible. On se disait probablement la même chose de la directive Hannibal avant le 7 octobre 2023.
Les extraits du livre de Seymour Hersh nous montrent pourtant que cette ‘option’ a bien été agitée avec suffisamment de crédibilité pour forcer la main de ce vautour de la géopolitique, Kissinger.
C’était à une époque où l’on avait encore affaire, aux commandes d’Israël, à des psychopathes à peu près compensés, du type Ben Gourion ou Golda Meir.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Traductions d’extraits du livre de Seymour Hersh « L’Option Samson : l’Arsenal nucléaire d’Israël et la politique étrangère états-unienne », paru en 1991
…. C’est finalement au début de l’année 1968 que l’ordre a été donné de faire tourner le réacteur de Dimona[1] à plein régime, permettant la production de 4 à 5 ogives par an. En 1973, au moment de la guerre du Kippour, il y avait plus de 25 bombes dans l’arsenal israélien.
C’est aussi à ce moment qu’a commencé à se former la doctrine connue sous le nom “d’option Samson” selon laquelle, s’il se sentait menacé dans son existence, Israël entrainerait dans sa perte le monde entier, à l’aide d’attaques nucléaires.
Pour un grand nombre de responsables états-uniens de la non-prolifération, le Moyen Orient restait, au début des années 1990, le seul endroit où l’usage d’armes nucléaires était du domaine de l’envisageable. Un expert avec plus de vingt ans au service du gouvernement sur la question nucléaire au Moyen Orient pouvait déclarer : « Israël à une stratégie nucléaire cohérente. En cas de menace suffisante, il la mettra en action ».
En 1969, Israël est devenu une puissance nucléaire à part entière, au moment le plus propice au regard du jeu politique aux Etats-Unis. Le président Nixon, inauguré le 20 janvier, et son ministre des affaires étrangères, Henry Kissinger, partageaient le même mépris à l’égard du Traité de non-Prolifération Nucléaire, que Lyndon Johnson soutenait publiquement et ardemment. Les deux dirigeants états-uniens considéraient que les ambitions nucléaires d’Israël étaient justifiées et compréhensibles. Une fois installés au pouvoir, ils ont appuyé ces ambitions.
L’évaporation de la pression états-unienne sur la question du nucléaire israélien a enlevé les dernières limites imposées au fonctionnement de Dimona et à la politique de Tel Aviv. Le gouvernement israélien a compris que la fin des inspections Culler étaient synonyme de carte blanche offerte par les Etats-Unis. Techniciens et scientifiques du nucléaire à Dimona ont commencé à travailler comme l’avaient fait avant eux leurs collègues états-uniens et soviétiques au début de la guerre froide, fabriquant le plus de bombes possibles.
Israël disposait également d’un stock de lanceurs mobiles Jéricho I, produits dans le cadre du Projet 700. Ces lanceurs, dévoilés en 1971, étaient capables d’atteindre des cibles dans le sud de la Russie, y compris à Tbilisi, près des champs pétrolifères soviétiques, à Baku, sur les côtes de la mer Caspienne, et mettaient bien sûr les capitales des pays arabes à portée de tir…
[Insertion du Dissident : En 1973, dans les premiers jours de la guerre du Kippour, Israël, en difficulté, a craint d’être acculé à la défaite. Il a alors utilisé l’Option Samson pour obliger Les Etats-Unis à les sortir d’affaire.]
…Dans les heures qui ont suivi, les dirigeants israéliens, confrontés à la plus grave menace de leur histoire, ont pris trois décisions essentielles : le regroupement de son armée en déroute pour une contre-attaque d’envergure ; l’armement et le pointage de ses missiles nucléaires en cas d’écroulement de son armée et de déclenchement de l’Option Samson ; et finalement, l’appel aux Etats-Unis, informant Washington de leur décision nucléaire inouïe et exigeant qu’ils mettent en place immédiatement un pont aérien pour remplacer leur armement détruit et les approvisionner en munitions leur permettant d’envisager une opération militaire d’envergure.
Le cabinet restreint a ordonné que tous les lanceurs opérationnels de Hirbat Zachariah soit mis en état d’alerte maximale ainsi que 8 F-4S spécialement positionnés 24 heures sur 24 sur la base de Tel Nof, près de Rehovot. La liste des cibles initiales comprenait les états-majors égyptiens et syriens, à proximité du Caire et de Damas.
L’armement des missiles nucléaires avait un second but, tout aussi important, selon d’ex-responsables gouvernementaux : une décision de cette gravité forcerait les Etats-Unis à mettre en place immédiatement un réapprovisionnement massif de l’armée israélienne en matériel. Le cabinet israélien était ulcéré par la politique du gouvernement états-unien - emmenée par Kissinger- qu’ils interprétaient correctement comme une stratégie visant à laisser les arabes gagner du terrain et de l’assurance, afin de forcer une vraie négociation sur la base de ‘terres contre paix’. Kissinger, qui venait juste d’être reconfirmé dans son poste, se voulait l’orchestrateur de ces négociations…
…Dans le second volume de ses mémoires, ‘Les années orageuses’, Kissinger ne mentionne pas ce chantage nucléaire. Mais il parle bien d’une série d’appels téléphoniques urgents émanant de Simcha Dinitz, l’ambassadeur israélien à Washington, à partir de 1:45 du matin, le mardi 9 octobre, soit immédiatement après la fin de la réunion d’urgence du cabinet de Golda Meir qui avait duré toute la nuit (jusqu’à 8:45 en Israël). Kissinger écrit que Dinitz était focalisé sur la seule question : “qu’avions-nous à offrir en termes de réapprovisionnement ?”. Question qui a été répétée dans un nouvel appel téléphonique à 3:00 du matin. “Sauf à imaginer qu’il cherchait à prouver qu’il pouvait me sortir du lit à toute heure de la nuit, il y avait quelque chose qui n’allait pas” continue Kissinger.
Finalement, Kissinger, en compagnie de Peter W Rodman, son assistant de toujours, a rencontré Dinitz et le général Mordecai Gur, attaché militaire d’Israël à 8:20, dans la salle des cartes de la Maison Blanche. Là, Kissinger a été informé de la situation militaire catastrophique où se trouvait l’armée israélienne et du besoin d’un réapprovisionnement urgent en tanks et en avions[2]. Il précise que « Israël était au seuil d’une âpre guerre d’attrition qu’il n’était pas en mesure d’emporter, au vu de la disparité des forces en présence. Il devaient faire quelque chose de décisif ». Selon Kissinger, à un moment donné, Dinitz a demandé à interrompre la réunion dans la salle des cartes, insistant qu’il devait s’entretenir seul à seul avec lui. Rodman et Gur, pourtant des personnes de confiance pour les secrets d’importance, ont été renvoyés. Une fois seuls, toujours selon Kissinger, Dinitz lui a passé le message que Golda Meir « était prête à faire le voyage pour s’entretenir pendant une heure avec le président Nixon et le convaincre de déclencher une aide militaire urgente…”. Kissinger écrit qu’il a usé de ses pouvoirs pour « rejeter d’emblée cette demande, sans en référer à Nixon. Il ne pouvait s’agir que d’une réaction hystérique ou d’une tentative de chantage »
Une meilleure connaissance du message de Dinitz prouverait certainement la deuxième hypothèse, comme le savait pertinemment Kissinger. Le chantage à d’ailleurs fonctionné. Dans ses mémoires, Kissinger reprend : « au soir du 9 octobre, Israël avait obtenu la promesse que ses pertes seraient remplacées. S’appuyant sur cette garantie, il a pu intensifier sa consommation d’équipements militaires, comme nous l’avions calculé ».
Comment a été délivré par Israël ce message d’un Armageddon à venir? Ni Kissinger, ni Dinitz n’ont voulu en parler avec moi. Mais l’insistance de Dinitz pour ce meeting en tête à tête avec Kissinger, autant que la description de son message par Kissinger comme étant du « chantage », ne laissent guère de doute sur le fait qu’il était lié à la question nucléaire….
… Kissinger ne s’est jamais exprimé publiquement sur la question de l’armement nucléaire israélien, et ses plus proches conseillers, dont Rodman et William G Hyland (qui était alors responsable pour les affaires soviétiques au sein du Conseil National de Sécurité) ont toujours nié avoir été en possession de ce type d’information. La meilleure source pour savoir ce qui s’est vraiment passé reste donc Kissinger lui-même. Lors de discussions privées, il a reconnu devant Anouar Sadate et devant Hermann F Eilts, l’ambassadeur américain en Egypte qui travaillait au plus près avec lui sur les échanges diplomatiques intenses qui avaient cours dans les années 1970 au Moyen Orient, que Israël avait brandi la menace nucléaire.
Eilts avait été choisi personnellement par Kissinger pour le poste en Egypte en octobre 1973, et il y a débarqué à la fin de la guerre du Kippour. Sa première entrevue de travail avec Kissinger dans le cadre de son nouveau poste fut palpitante. A la demande de Kissinger, elle avait été organisée autour d’un petit-déjeuner matinal à Islamabad, au Pakistan, début novembre, lors d’une escale de Kissinger sur la route d’une visite trop longtemps retardée à Beijing. Eilts se souvient : « Henry m’a longuement parlé de la panique des israéliens au quatrième jour de la guerre (le 9 octobre) et que nous avions pris alors la décision de les aider ». Il ajoute que « à ce moment là, il n'a pas dit un mot sur l’armement nucléaire ». Ce point n’a jamais non plus été soulevé lors des discussions ultérieures qu’il a eues avec Kissinger.
Mais il évoque un dernier meeting avec Kissinger, fin 1976, alors que le mandat de Ford touchait à sa fin, et que Kissinger vivait ses derniers jours comme secrétaire d’état. Kissinger a abordé de nouveau la guerre de 1973. « Et c’est là que, comme si c’était une remarque anodine, » nous apprend Eilts « Henry a révélé que nous avions été inquiets que les Israéliens puissent utiliser leur arsenal nucléaire. Ils ont menacé d’utiliser leur arsenal nucléaire s’ils n'obtenaient pas, rapidement, l’équipement militaire qu’ils demandaient ». Eilts exprime alors son étonnement que « rien n’avait transpiré de ça auparavant ». Il est tout aussi étonné de la désinvolture de Kissinger : « c’était comme si c’était juste un commentaire sans importance ».
Kissinger n’avait pourtant pas été si désinvolte au moment où il avait appris les intentions d’Israël. Bien sûr, il n’a fait part de cette menace nucléaire à aucun de ses collègues du cabinet ministériel mais il a changé instantanément son point de vue sur la nécessité de livrer des armes -en quantité industrielles- à Israël.
[1] Dimona est le réacteur au centre du programme d’armement nucléaire d’Israël. Longtemps caché aux yeux du public, constamment interdit avant 1969 aux inspections -autres que factices- qu’exigeaient les Etats-Unis, John Fitzgerald Kennedy en particulier, ce centre continue aujourd’hui son activité illicite visant à produire les quantités de matériau fissile nécessaire à la production des bombes nucléaires israéliennes.
[2] Il est généralement fait état de la perte par Israël de plus de 500 tanks et de plus de 100 avions dans les premiers jours de la guerre du Kippour.